Tout est une question d’approche.


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Faisant suite à votre article du 21 janvier 2013, la campagne de salissageet aux échanges avec Paco Lebel, j’ai décidé de faire preuve de circonspection et de ne me prononcer qu’après avoir visionné le film Zero dark thirty.

Je suis en accord avec Kathryn Bigelow lorsqu’elle affirme que «montrer[le mal] ne veut pas dire que l’on cautionne». Pourtant tout cela dépend de la manière dont on présente les choses, de l’angle choisi.

Même si, a priori, ce film ne relate qu’une réalité que l’on se doit de considérer- la torture existe et personne ne nie cela, ni même que de ne pas la montrer change quelque chose, au contraire-dans les faits, il promeut fervemment et insidieusement l’efficacité  de ces méthodes d’interrogation.

D’innombrables scènes font foi de ce jugement tendanciel sur la torture. Des scènes où la thèse sous-jacente est à peine voilée, voire pas du tout.

Après l’avoir frappé et questionné, on laisse Amar nu sous le regard de Maya qui, au départ, fit montre d’une certaine empathie en se dirigeant tranquillement en direction de lui, puis se ravisa, comme saisie d’une lucidité que l’émotion avait, l’espace d’un instant, étouffée, et  dit à Amar que «la seule façon de s’aider est de dire la vérité».

Comme s’il n’était victime que de son mutisme, pas du traitement que la CIA lui inflige. Comme si le Ve amendement qui stipule que «nul n’est tenu de témoigner contre lui-même», n’avait plus cours dans ces pays où «on abhorre l’idéal de liberté que les États-Unis symbolisent».

Plus tard, on montre Amar trainé à l’aide d’une laisse vers une boite d’une exiguïté qui rebuterait même un animal, mais dont on l’aurait «dispensé» s’il avait parlé, et c’est instantanément suivi d’une scène où l’on voit ses complices passer à l’acte.

Il devient limpide que ce que l’on tente d’insinuer par-là, c’est que leurs manœuvres étaient totalement légitimes puisqu’elles auraient permis, si elles avaient abouties, de sauver ces vies innocentes «Non-Musulmanes et Américaines». Il est alors tout à fait rationnel et justifié de recourir à de telles abjections. Pire encore, on en vient à penser qu’ils auraient dû redoubler d’ardeur durant ces «interrogatoires» afin que ces terroristes se mettent à table.

Ça réduit un sujet éminemment complexe à un questionnement binaire : traiter avec inhumanité des individus sans scrupules, ou laisser d’innocentes victimes trépasser sans même leur venir en aide? De deux maux il faut choisir le moindre, et cela semble être, d’un point de vue pragmatique, totalement légitime et justifiable.

De la même façon, afin d’attiser cette fibre patriotique qui caractérise nos voisins du sud, on recourt ad nauseam à la tragédie du 11 septembre. Cette référence sert d’autant plus à désensibiliser l’auditoire puisqu’elle fait le lien entre ces atrocités et la juste préservation de la «Sécurité Nationale» qui est si chère aux Américains.

On pousse l’audace encore plus loin en  présentant le «loup» en train de prier. Cela pour mettre en exergue que ce n’est pas un «mal nécessaire» auquel seuls les Américains consentent. Mais qu’il s’agit d’un impératif auquel doit se soustraire tout défenseur de la liberté, et que même un musulman est prêt à faire subir ce traitement d’une barbarie néronienne à ses coreligionnaires égarés.

L’apothéose de ce film faisant clairement l’apologie de la torture s’avère le texte qu’on présente à la fin et qui énumère le nombre de victimes du 11 septembre, de membre d’Al Qaeda et de talibans tués, mais une totale omission des victimes civiles iraquiennes et afghanes. Et le comble de tout ça, c’est qu’on termine sur un argument on ne peut plus spécieux : «depuis les attentats du 11 septembre, aucun autre n’a eu lieu aux États-Unis.»…

On ajoute encore un peu de légitimité à ces atrocités, si besoin il y avait, en faisant d’eux, non pas des exécutants d’un vil projet, mais des héros ayant permis aux USA de ne plus jamais être la cible de pareils attentats sur leur territoire- ce qu’ils n’avaient jamais été auparavant non plus, si l’on ne tient pas compte de Pear Harbor.

Ce film est, à l’instar du Unthinkable de Gregor Jordan, manichéen et simpliste. Les méchants nous attaquent, nous réagissons du mieux que nous pouvons, mais ces lois et conventions internationales nous empêchent de mener à bien ce devoir moral qui, bien qu’il semble répugnant, est essentiel. Il y a une certaine noblesse à effectuer ce sale boulot que tous savent ignoble, mais nécessaire.

Bref, un long dithyrambe sur le rôle primordial, voire essentiel du programme des détenus de la CIA. Ce  film ne pose jamais réellement de regard critique sur la torture en tant que tel, étant trop occupé à glorifier les finalités de celle-ci.