La surdité sélective de Bernard Drainville


 

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Cela a été dit et répété : le projet de charte des valeurs québécoises, s’il ne s’en était tenu qu’à baliser les accommodements raisonnables, aurait été fortement à propos. Ce point fait consensus parce que, finalement, c’est à cela qu’on réfère lorsque l’on parle de la «crise»; des accommodements déraisonnables que l’on accorde en raison du vide juridique qui entoure cette question. Les symboles religieux – hormis la burqa et le niqab – n’y étaient pour rien.

 

Pourtant, le Parti Québécois semble tenir mordicus, dans son projet, à la disposition concernant l’interdiction du port de symboles religieux dans les institutions publiques et parapubliques. Et cela en dépit du fait que cette mesure contrevienne à l’une des dispositions fortes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule expressément que chacun est libre de manifester, en public et en privé, sa conviction religieuse. Ce droit, confirmé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, n’a aucunement freiné le gouvernement Péquiste dans sa volonté de le remettre en cause. Le résultat, qui ressort du débat engagé au sein de la société québécoise autour de ce projet, débat qui s’avère aussi passionné que chaotique, est qu’un profond clivage entre les pour et les contre s’est imposé, qu’une partie de la population, notamment les femmes voilées, se sent particulièrement visée et que des questions autrement plus importantes, comme l’économie sont volontairement occultées.

 

S’agit-il d’un calcul politicien du pouvoir en place, duquel il escompterait grappiller des points au sein de l’opinion publique en agitant le spectre de la question identitaire, comme le suggèrent nombre d’observateurs? Tout porte, en effet, à le croire parce que lorsque la question est posée au gouvernement de savoir s’il existerait des études sérieuses, documentées et factuelles qui motiveraient cette nouvelle politique, celui-ci l’esquive sans y apporter une réponse convaincante et crédible.

 

Cette même question a été posée dans l’émission «Tout le monde en parle» du 22 septembre dernier par Gérard Bouchard au ministre Drainville, maître d’œuvre du projet, lequel, dans une réponse hésitante et approximative, a dit qu’il a ‘’entendu’’ les gens réclamer ces nouvelles dispositions. Peut-on en déduire, donc, que le gouvernement entend légiférer sur la base du ouï-dire? Qu’il est prêt à attiser une fracture sociale en raison de ce que certains individus perçoivent ou ressentent? Un malaise justifie-t-il qu’on recoure à des mesures aussi radicales? Quid de la réalité factuelle? Serait-il, à ce point, irresponsable?

 

Qu’a-t-il entendu, au fait? Peut-être son entourage immédiat, les électeurs de son comté ou encore ceux lui ayant envoyé des courriels. Mais pourquoi alors n’a-t-il pas entendu les juristes du Ministère de la Justice qui ont émis des avis négatifs notamment au regard de l’inconstitutionnalité du projet? Que n’a-t-il entendu les 60% des québécois qui, dans un récent sondage, lui disent clairement qu’ils s’opposent à ce qu’un employé soit congédié parce qu’il porterait un symbole religieux, ce qui, en d’autres termes, signifie leur rejet du point qui se réfère à cette question dans le projet. Mais cela, le Ministre Drainville ne semble pas l’avoir entendu.

Serait-il atteint de surdité sélective?

 

Et si le gouvernement poursuit dans la voie de légiférer sur la base du ouï-dire, il pourrait bien être inspiré d’entendre les voix de certains des partisans du projet de charte qui affirment que ‘’la religion c’est dans son salon’’? Ne serait-ce pas la suite logique? Comme le salon, ce n’est pas la rue, ne devrait-on pas craindre, dans ce cas, une mesure inconstitutionnelle et répressive qui interdirait tout symbole religieux dans l’espace public?

De la fonction publique à l’espace public? Où situe-t-on la limite? Et surtout qui la situe? Les gens que Bernard Drainville a «entendu»? 

 

Une fois les citoyens convaincus de la nécessité de débarrasser la fonction publique et parapublique des symboles religieux, rien ne saurait empêcher le gouvernement d’aller de l’avant, et d’ainsi répondre aux préoccupations de ces citoyens qui plaident pour une interdiction totale des signes ostentatoires – particulièrement, et parfois seulement, le voile – sur la voie publique. Ce projet de loi n’est peut-être, au final, qu’un cheval de Troie; restreint dans son application, mais pavant la voie à d’autres mesures bien plus coercitives et liberticides.

 

Ne dit-on pas que c’est toujours le premier pas qui coûte?

Richard Martineau: qu’en est-il du contenu?


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Sous la rubrique « FRANC PARLER » de Richard Martineau, le Journal de Montréal a publié, le jeudi 4 avril courant, un texte d’une effroyable insipidité. Contenant 525 mots (ponctuation non comprise), celui-ci, selon son titre, était supposé traiter du concept de la souveraineté chez le Parti Québécois. À la fin de la lecture, l’impression qui me reste est que ce texte était là pour meubler un espace vide du journal. Mais remplir le vide par du vide, quel intérêt le lecteur en retire-t-il?

525 mots, c’est, en général, amplement suffisant pour exposer des faits et développer une explication synthétique. Or, qu’expose, dans ce texte, Richard Martineau?

Une chronique truffée d’images réductrices, à l’emporte-pièce qui insulte l’intelligence du lecteur et qui utilise un langage que ne désavoueraient pas les discussions de bastringue de bas étage.

Comme on présume que Richard Martineau a à cœur le fait que le lecteur comprenne bien les dessous de la souveraineté, il n’hésite pas, pour ce faire, à avoir recours à des métaphores gastronomiques, climatiques, environnementales et autres. J’en prends quelques-unes qui sont assez éloquentes de la verve de notre chroniqueur en matière de raccourcis. Admirons au passage la profondeur de l’analyse et la justesse du cliché (sic et resic!)

«Si vous n’aimez pas le smoked meat, voulez-vous me dire pourquoi vous allez chez SCHWARTZ?»

«Si tu n’aimes pas la chaleur, veux-tu me dire pourquoi tu es allé au Maroc en plein été?»

«Quand on va à la maison du spaghetti, on mange du spaghetti. Quand on va à la maison, on mange du curry.»

On conviendra qu’expliquer la souveraineté de cette façon est assez inhabituel et tout à fait incongru. Cela témoigne, sans conteste, de la volonté réductrice de l’auteur envers une option fondamentale pour une nation. Une option qui fait appel à des enjeux cruciaux et qui engage des décisions déterminantes pour l’avenir de deux nations.

Le texte est une succession de questions qui rappellent certaines répliques de mauvais humoristes, lesquels au moins, ont le mérite de jouer sur un autre registre. Neuf questions, tout aussi inconsistantes et creuses les unes que les autres et qui ont constitué, rendez-vous compte, la structure de sept petits paragraphes. J’en prends, au hasard, quelques-unes pour en démontrer la fatuité :

«Me semble que c’est clair, non?»

«Coudonc, lisez-vous le programme des partis quand vous votez ou basez-vous votre vote sur la couleur de la cravate ou -du châle- du chef?»

«La moindre des choses est qu’il dirige, non?»

«C’est quoi, les élections, selon vous? Un concours de popularité? Une version politique de La Voix?»

Et comme on sent que le chroniqueur manque de matière pour meubler l’espace qui lui est offert par le journal, il ne se gêne pas pour reprendre in extenso les articles 1.1 et 1.2 du programme du Parti Québécois. Ces deux articles contiennent, à eux seuls, 59 mots soit 11,04% de tout son texte. Ahurissant!

Quant à la défense et à la promotion du français, on repassera : des mots qui se disent-on en convient- couramment dans la rue mais qui, normalement ne devraient pas s’écrire pas dans une chronique qui se respecte, figurent en bonne place dans le texte (coudonc, le boutte, je suis tanné…)

Passons en revue quelques statistiques parce qu’elles sont véritablement édifiantes

Les 2 articles du programme du P.Q : 59 mots

Les assertions climatiques et culinaires : 69 mots

Les questions que je qualifierai de «défonce les portes ouvertes! » : 79 mots

Soit 207 mots. Quasiment 40% du texte…

Pour reprendre le style Martineau, je me hasarderai à soulever cette question : ces statistiques, est-ce assez convaincant de la pertinence du texte et de sa richesse?

En vérité, ce texte me renforce dans la conviction que j’avais selon laquelle Richard Martineau ne fait que brasser du vide. Qu’on l’écoute ou qu’on le lise ne changera rien : c’est toujours le même langage distillé au forceps, manque flagrant d’arguments, des idées clairement de droite mais assénées sans structure ni fondement. On peut s’opposer sur un sujet et en débattre vivement, en reconnaissant à l’autre partie la pertinence de son argumentaire et de son analyse. L’exemple du chroniqueur- et collègue de Martineau au Journal de Montréal- Mathieu Bock-Côté peut être, dans ce cas-là, mis de l’avant : un journaliste dont je ne partage pas les opinions mais qui avance des idées structurées et qui développe des analyses étayées par un argumentaire respectable. Avec Richard Martineau, on n’est pas seulement en opposition sur l’idée qu’il défend mais également sur la façon qu’il a (ou qu’il n’a pas) de la présenter. Tout ce qui me reste, après l’avoir lu et écouté, c’est seulement cette désagréable sensation d’être intellectuellement resté sur ma faim…

Laïcité pour tous, dites-vous?


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Alors que l’on commençait à peine à l’oublier, il refait surface. Toujours chargé un peu plus de cette émotivité que suscite la question identitaire. Le débat sur la laïcité qui s’est cristallisé durant la commission Bouchard-Taylor revient hanter la politique québécoise.

Le Parti Québécois, insatisfait du rapport déposé par les commissaires, a annoncé qu’il tiendrait une consultation nationale sur la laïcité. Cette dernière permettrait d’apporter de légers correctifs à la «Charte de la laïcité» que le PQ compte adopter prochainement. Visiblement, il l’aurait voulu plus intransigeant par rapport aux signes religieux ostentatoires en général et le voile en particulier

Ce genre de débat s’avère totalement exempt de véritable dialogue quant à la question du port du voile religieux dans la fonction publique que certains, à l’instar de Mathieu Bock-Côté, voudraient étendre au cadre scolaire. On se contente de dicter «notre» conception d’une société laïque, les musulmans ne faisant manifestement pas partie de ce «nous» qui se veut exclusif.

Bock-Côté va même jusqu’à affirmer que «C’est pour cela qu’il doit être interdit dans la fonction publique et à l’école. Pour indiquer clairement aux immigrants que la société d’accueil impose ses règles et qu’elles ne sont pas négociables.»

La société impose effectivement ses règles que sont la démocratie, le respect de la loi, le respect des libertés individuelles. Ces règles n’entrent aucunement en contradiction avec  le port d’un quelconque symbole religieux. Au contraire, c’est ceux-là même qui entendent bannir ces signes ostentatoires, expression de foi religieuse, qui, entrent en contradiction avec les principes fondamentaux de la liberté, en l’occurrence le droit de pratiquer son culte sans contrainte ni restriction. Quoiqu’en disent les détracteurs, la spiritualité, qu’elle soit musulmane ou autre, se conjugue parfaitement avec la démocratie et les valeurs de la société occidentale.

On argue partout que c’est une question d’égalité et de justice que d’interdire le voile dans nos institutions, et si possibilité il y a, dans l’ensemble de la société. Parce qu’une minorité d’individus en Occident- quand on est à court d’exemples, on se tourne vers l’Arabie Saoudite ou l’Iran- se livrent à une interprétation erronée des sources scripturaires, il faudrait en priver toute croyante fût-elle totalement libre et émancipée.

Du point de vue «moderne», supérieur parce qu’occidental, il est inconcevable qu’une femme puisse volontairement décider de le porter. Les citoyennes musulmanes seraient à ce point aliénées par l’Islam que même lorsqu’elles sont persuadées de le porter par conviction personnelle, ce serait, en fait, une défaillance de leur psyché qui n’a pas réussi à se départir de ce carcan religieux. Modernité et Islam seraient antagoniques.

L’argument de la protection du droit des femmes ne tient pas la route, pas plus que celui de la réciprocité. Pourtant, les démagogues n’ont de cesse de les instrumentaliser tant, a priori, ils semblent logiques.

S’il s’agit réellement d’une volonté d’intégration et de libération des femmes, quoi de plus logique que de leur permettre, sans entrer en contradiction avec leurs convictions, d’aller à l’école et de travailler. Et partant, ce qui est bon pour l’ensemble de la société ne peut pas être mauvais pour la fonction publique. Pourquoi les priver de certains postes? Il semblerait que c’est parce que l’État et ses représentants se doivent de faire preuve de neutralité religieuse. Soit, mais en quoi une femme portant un voile enfreint-elle cette neutralité que le crucifix à l’Assemblée nationale, organe détenteur du pouvoir législatif de l’État, n’enfreindrait pas?

Il s’agit d’être cohérent dans ses prises de position. On ne peut pas, d’un côté, faire du hijab le symbole d’insoumission à la «Catho-laïcité»-pour reprendre l’oxymore de Bock-Côté- et de l’autre passer sous silence les agissements du maire de la ville de Saguenay, Jean Tremblay, qui impose une prière au début de chaque assemblée à l’Hôtel de Ville. Ces indignations à géométrie variable perdent, à cause de leur partialité, toute crédibilité.

De la même façon, certains illuminés, faisant preuve de bien peu de connaissance en ce qui a trait à la politique internationale, voudraient qu’on ne soit ouverts au port du voile, et a fortiori aux musulmans, qu’au moment où les pays à majorité musulmane n’obligeront plus les femmes à se voiler et permettront la liberté de culte. Mais quelle est la réelle valeur d’un tel sophisme? D’un postulat si spécieux? Il faudrait que les musulmans vivant en occident soient imputables des décisions politiques prises dans des contrées avec lesquelles ils n’ont strictement rien à voir. Devrait-on rendre coupable un Américain pour les mensonges de Bush ou un Québécois pour le caractère belliqueux de Harper?

Il faut ajouter à cela ce que des idéologues affirment être «l’aspect politique de cette visibilité musulmane»; en refusant de délaisser ces signes distinctifs, les musulmans auraient commis l’affront de s’opposer à l’Occident en tant que «société parallèle», profitant de «l’ouverture à l’autre» pour s’imposer. Espérant un jour prendre définitivement le pouvoir afin, comme ne cesse de le répéter Djemila Benhabib, d’«islamiser l’occident».

Il devient évident que la question de la laïcité vise spécialement l’islam. Elle tire son origine du débat français, qui lui-même découle de la période post-11 septembre. Il s’avère passionnel et passionné. On se méfie de l’islam, et cette visibilité que permet le voile fait peur.

Les femmes ayant tourné le dos à l’islam dans une volonté de «libération de ce joug machiste» font souvent les manchettes et sont omniprésentes sur les plateaux de télévision, Djemila Benhabib et Ayaan Hirsi Ali, entre autres. Pourtant on fait taire de façon quasi systématique la voix de celles qui luttent pour leur droit à le porter sans être contraintes tout en agissant sur la société dans laquelle elles vivent. Si le plein accomplissement de ces femmes devait inéluctablement passer par la scission avec le religieux, grand bien leur en fasse, mais elles n’ont pas à décréter que toutes doivent,  si elles veulent être émancipées, suivre leur voie.

À défaut d’être soumises par le voile, certaines le sont par le jugement d’une société qui, parce qu’elle ne saisit pas cette relation à la Transcendance, décide de prendre la parole à leur place. «Le dogmatisme de la rationalité» pour reprendre la formule de Tariq Ramadan.

Les médias font les gros titres de cas anecdotiques afin d’irrémédiablement prouver l’existence de cette contradiction entre «Islam et modernité». En miroir, c’est de cette attitude sectaire et inquisitrice envers les musulmans que s’abreuvent les groupes extrémistes pour légitimer leur conduite vis-à-vis de l’occident et grossir leurs rangs. L’abîme appelle l’abîme.

La solution se trouve dans l’ouverture et le dialogue, et les musulmans, sans qu’ils soient dénués d’islam comme on le voudrait, se doivent d’en faire partie. Et non qu’ils soient stigmatisés comme étant partie prenante du problème. Les millions de musulmans présents partout en Occident sont en phase avec la modernité et démontrent leur volonté de s’intégrer. Mais pour certains populistes et démagogues,  cela est insuffisant. Il faudrait qu’en plus, ils se départissent de leurs convictions religieuses. À croire que tous peuvent concilier citoyenneté et spiritualité sauf les musulmans…