Israël ou l’État qu’on ne peut blâmer.


palestine-antisemitisme

Dans son blogue, Lise Ravary publie un article traitant du présumé biais anti-israélien de Radio-Canada. Pour étayer sa thèse, elle prend appui sur le reportage d’une journaliste de ce média, consacré au conflit israélo-palestinien. Parlant d’un prisonnier palestinien, cette journaliste utilise le terme de «prisonnier politique».

Selon Lise Ravary, cette expression n’a pas lieu d’être, Israël étant un état démocratique qui se soumet scrupuleusement aux normes du droit international. Je la cite «Dans tous les cas, il s’agissait de prisonniers qui avaient été jugés de crimes reconnus par la communauté internationale et dans les règles de droit les plus strictes. Avec possibilité d’appel devant une cour suprême.».

Dans le discours policé des défenseurs indéfectibles d’Israël, ce genre d’affirmation est omniprésent mais est, toutefois, foncièrement fallacieux. Il est vrai qu’en théorie, l’État israélien se pare de tous les éléments définissant une démocratie : élections libres, séparations des pouvoirs, liberté d’expression et d’association (pour certains…).

Pourtant, le quotidien de la population palestinienne est à des années lumières de cette vision expurgée de la réalité. Les exactions et entorses au droit international sont légion. Les organisations humanitaires sont unanimes, l’état d’Israël contrevient à de nombreuses  conventions internationales en ce qui a trait aux prisonniers palestiniens. Les innombrables résolutions de l’ONU concernant le non-respect par Israël des conventions internationales, ses entraves aux droits des palestiniens témoignent de cet état de faits.

Ainsi, Human Rights Watch s’insurge contre le fait «qu’Israël détienne des prisonniers pendant des mois sans les inculper de crimes ni leur permettre d’examiner les preuves de leurs crimes présumés. ». L’Unicef déplore «les mauvais traitements systématiques et institutionnalisés» infligés aux enfants palestiniens qui sont jugés devant une cour militaire. Toujours selon l’Unicef, ces mesures sont «uniques au monde» et n’existeraient ailleurs qu’à titre d’exception. Des enfants ayant jeté des pierres ou soupçonnés de l’avoir fait risquent jusqu’à dix années de prison.

Amnistie Internationale, quant à elle, multiple les requêtes auprès du gouvernement israélien afin que soient examinées les preuves tenues secrètes par la justice israélienne concernant les détentions injustifiées de nombreux prisonniers dont Samir Issawi et Ahmed Qatamesh. De plus, l’ONG dénonce le blocus de Gaza, et exhorte le gouvernement à le lever immédiatement, soutenant «qu’il constituait un châtiment collectif infligé à la population de Gaza en violation du droit international.».

Ajoutez à cela les innombrables résolutions de l’ONU tout simplement ignorées par Israël. Qu’il s’agisse de la résolution 242, intimant à Israël de quitter les territoires occupés ou de la 3236 réaffirmant le «droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination sans ingérence extérieure.».

 

Peut-on définir le prisonnier politique?

Le conseil européen des droits de l’homme, dans sa définition du prisonnier politique, exclut «les personnes privées de liberté individuelle pour des crimes terroristes […] si elles ont été poursuivies et condamnées pour de tels crimes en accord avec les législations nationales et la Convention européenne des droits de l’homme».

Pourtant, il n’est un secret pour personne que l’État israélien se livre à des détentions préventives «en vertu d’une loi militaire relative à la « détention administrative », qui autorise la détention sans inculpation ni jugement, sur la base d’éléments de preuve auxquels ni les détenus ni leurs avocats n’ont accès. Les ordres de détention administrative délivrés par l’armée israélienne ont une durée de un à six mois, et peuvent être renouvelés indéfiniment.».

C’est là où le bât blesse : les dérogations au droit international quant à la détention et aux procédures menées contre les prévenus justifient de ne pas accorder foi à l’impartialité de la justice israélienne. En effet, dans un territoire enclavé et surpeuplé comme Gaza, par exemple, rien n’est plus simple que d’établir un lien, aussi ténu soit-il, entre un individu et de possibles activités criminelles. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’individu en question participe à des manifestations ou des rassemblements, fussent-ils pacifiques. Dans cette optique, tout palestinien peut se retrouver dans la mire de la justice israélienne et croupir en prison durant des années en attente d’un procès qu’il sait tendancieux à l’avance.

Il est important de souligner que pour quelqu’un considéré à l’époque comme un terroriste notoire tel que Nelson Mandela, le vocable prisonnier politique, relativement à ses 27 années de détention, est parfaitement convenable et convenu. Bien qu’il se soit livré à des actes répréhensibles, il obtint le soutien de la communauté internationale qui fit pression pour que cesse l’apartheid et qu’il soit libéré. Fait cocasse : il reçut le prix Nobel de la paix en 1993 (alors même qu’il prôna la lutte armée contre le régime en place) mais ne fut retiré de la liste américaine des terroristes qu’en 2008

De la même façon, des terroristes sionistes, ceux du Haganah et de l’Irgoun (organisations terroristes à l’origine de la force de défense israélienne, Tsahal), combattus par la force d’occupation britannique pour avoir participé à de nombreux massacres dans la période couvrant la création de l’État d’Israël- King David Hôtel, Deir Yassin, entre autres- ont été réhabilités et leur courage salué. Notamment, le chef de l’Irgoun, Menahem Begin, qui a assumé la responsabilité de ces deux massacres, est devenu le septième premier ministre d’Israël et s’est vu, lui aussi, remettre le prix Nobel de la paix en 1978 à la suite des accords de camp David.

La vision que l’on a des terroristes algériens du FLN durant la guerre d’indépendance contre la France, par exemple, participe de cette même logique qui veut que pour le pouvoir en place ce soit de dangereux criminels, alors que pour l’histoire il s’agit de combattants de la liberté. Il en va de même pour les résistants français à l’occupation allemande ainsi que tous ceux ayant combattu le nazisme. Idem pour les patriotes américains s’étant révoltés contre l’oppresseur britannique. La liste est longue…

Le terme prisonnier politique est couvert d’ambiguïté. Aucune définition claire et universelle n’existe. Peut-on être humaniste et terroriste à la fois? C’est en tout cas ce que l’histoire enseigne. Pour peu que la cause défendue soit considérée comme légitime par ceux qui l’étudient.

 

La création d’Israël, une invasion arabe?

 

Madame Ravary en rajoute en conclusion de sa chronique. Elle se livre à un révisionnisme historique en ce qui concerne la création de l’État d’Israël. Elle rapporte que Radio-Canada a «tripoté les faits» en affirmant qu’ «il y a 50 ans aujourd’hui, les Juifs envahissaient la Palestine.». Pour elle, «les seules armées qui ont envahi la Palestine en 1948 portaient les couleurs de l’Égypte, de la Syrie, de l’Iraq et de la Jordanie.».

En plus de faire abstraction des mouvances terroristes sionistes qui firent fuir les palestiniens à grand coup d’attentats et de sabotages, elle impute la responsabilité de leur sort aux palestiniens eux-mêmes, les rendant coupables d’avoir refusé le plan de partition d’un territoire qui leur appartient. On croirait rêver. Quelle population sur terre aurait pu acquiescer à un partage de son territoire avec une population étrangère? On a mis les palestiniens devant le fait accompli : soit ils acceptaient, soit ils subissaient contre leur gré.

L’édification d’un État passe soit par la conquête territoriale, soit par la négociation entre une population et le pouvoir en place. En ce sens, la création de l’État israélien est unique en son genre : jamais dans l’Histoire une terre ne fut spoliée à un peuple afin d’être rétrocédée à un autre avec l’aval de la communauté internationale.

Alors que l’antisémitisme est à condamner sans ambages, la critique des politiques israéliennes constitue un devoir pour tout humaniste.

Offrir une terre à une diaspora apatride est une entreprise noble. En autant que cela ne se fasse pas au détriment de la population autochtone. En voulant dédommager les juifs pour les horreurs subies au cours des siècles, on a lésé les palestiniens. Et ceux-ci payent aujourd’hui de leur vie ce sang que d’autres ont fait couler.

Le BRICS, une autre voie possible ?


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Concurrencer la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pourrait s’avérer une entreprise périlleuse mais ô combien décisive en ce qui a trait à la refonte des centres du pouvoir qui s’opère depuis une vingtaine d’années déjà.

 À Durban, au sortir du 5e sommet du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), les pays émergents ont exprimé leur volonté de créer une banque de développement commune. Les représentants ont annoncé que cette banque disposerait au départ d’un fonds de 50 milliards. Chacun des membres du BRICS contribuerait à hauteur de 10 milliards.

 Cette volonté d’équité chez les investisseurs vise à prévenir d’éventuelles aspirations hégémoniques du colosse chinois; conscient de son autorité, il pourrait vouloir mener le bal. Or, toute cette entreprise louable serait vaine si elle débouchait sur une Chine profitant de son ascendant économique pour adopter une position impérialiste «à l’américaine». Cela serait d’autant plus déplorable que la mission première de cette institution financière est de contrebalancer l’influence américaine, et par extension occidentale, au sein des deux institutions actuelles soit le FMI et la Banque Mondiale.

Ce projet commun des pays émergents risque, s’il se concrétise, de soulever un tollé au sein de la communauté internationale : il est  malaisé de jouer dans les plates-bandes occidentales. Pourtant si l’on promeut une vision libérale de l’économie,  on ne peut que se réjouir de voir s’installer une saine concurrence dans le secteur de l’aide internationale qui s’avère crucial à la viabilité et à la stabilité des marchés pour l’avenir.

Derrière l’altruisme affiché par le FMI et la Banque mondiale, se cache de rigoureuses dispositions réglementant les prêts et dons que ces institutions allouent aux pays mal en point. Il s’agit d’une façon de tisser des liens puissants de subordination à travers le financement de pays nécessiteux : l’aide internationale, bien qu’elle soit indispensable, est loin d’être désintéressée. En d’autres termes, il s’agit d’un néo-colonialisme pervers et insidieux.

En effet, les pratiques de ces institutions sont de diverses natures, pouvant aller d’une mise sous tutelle totale de l’économie d’une nation à l’octroi de contrats dans des secteurs clés, en passant par la modification de lois et réglementations internes. Dans cette optique, rivaliser avec ces institutions s’avère un risque calculé qui promet de remodeler les relations internationales, de mettre à bas ce modèle binaire- l’occident et le reste- qui est en vigueur actuellement.

Au cours des dernières décennies, les membres du BRICS, non structurés dans une organisation, s’étaient cloisonnés dans un discours quasi victimaire : imputant à Washington et aux Européens l’essentiel de leurs déboires économiques. Au lieu de ces plaintes vaines et sans lendemain, c’est, cette fois-ci, un projet d’envergure qui pointe à l’horizon. Ils expriment ainsi leur volonté de s’affirmer sur la scène internationale tant économiquement que politiquement. Mais surtout ils expriment leur volonté d’atténuer cette hégémonie américaine qui, à la vue du piètre état de son économie et des bourbiers dans lesquels ce pays s’est empêtré au niveau politique, s’explique de moins en moins.

Certes, l’idée est audacieuse- pour certains, elle parait même farfelue – pourtant comme l’affirmait, l’académicienne française, Marguerite Yourcenar «Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin».  Et c’est précisément de cela dont il est question : bâtir son destin. Se trouvant mal – ou sous- représentés – dans les institutions existantes, les pays du BRICS choisissent donc de prendre les rênes de leur destinée en fondant une initiative qui est leur et en faisant valoir les intérêts qui leur sont propres. Devenir maître de son sort c’est, d’une part, être entièrement responsable et tributaire de son succès, mais d’autre part, c’est surtout se porter garant d’un éventuel échec.

Il s’agit donc d’une voie parallèle que les pays du BRICS tentent d’instituer. Un mouvement des «non-alignés» économique. À l’instar de la doctrine Gaulliste qui, au plus fort de la guerre froide et de la polarisation qu’elle a instaurée, aspirait à offrir une alternative à ceux qui ne se satisfaisaient pas du modèle atlantiste.

Cette fois-ci, les pays du BRICS l’ont bien compris et souscrivent au fait qu’en dernière instance, l’économique est déterminant. Au lieu de reproduire les erreurs du passé en construisant un outil fondé sur l’idéologie, ils mettent en place un instrument qui pourrait donner lieu à un ensemble politique homogène en mettant en commun des moyens financiers.

Certains des membres du BRICS sont d’ores et déjà des acteurs influents en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, la Russie et la Chine notamment. Cette initiative pourrait donner lieu, à moyen terme, à une recomposition du monde, à la fin de cette hégémonie occidentale qui se cristallise à travers ce qui est appelé la mondialisation et qui nous est présentée comme une option inéluctable.

Le BRICS, une autre voie possible, alors?…

 

Israël : après le mur, la ségrégation dans les autobus.


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 (Photo par Stig Nygaard)

Commençons par clarifier un point afin d’éviter ce débat inepte et infécond qui consiste à assimiler toute critique des politiques du gouvernement israélien à de l’antisémitisme. Cette tendance est mise en œuvre de manière à éluder toute discussion sur le sujet : on pourrait appeler cela du véritable terrorisme intellectuel. Un point sur lequel tout le monde doit s’entendre : l’antisémitisme est à condamner absolument et est injustifiable pour tout humaniste. De la même façon, il est nécessaire d’être conséquent et, au nom de ce même humanisme et de la liberté d’expression, de s’insurger contre toute dérive autoritaire de l’État d’Israël.

La nouvelle fait écho à travers la planète : Israël crée une ligne d’autocars strictement réservé aux travailleurs palestiniens. Une pratique qu’on n’avait plus observée depuis la fin de l’Apartheid sud-africain en 1994…

Selon la compagnie Afikim qui gère cette ligne «le plan vise à faciliter le déplacement des passagers palestiniens et à leur offrir une solution face aux compagnies de bus pirates, qui leur soutirent des prix exorbitants». De la même manière, on apprend, de source ministérielle, que cela «vise aussi à désencombrer un réseau devenu surchargé pour les utilisateurs juifs» et à «réduire la charge qui s’est formée sur le réseau de bus, résultat de l’augmentation du nombre de permis de travail accordés aux Palestiniens».

Si la volonté de désengorger le réseau d’autobus est réellement ce qui motive cette décision, pourquoi ne pas ajouter plus de véhicules tout simplement? Pourquoi en ajouter qui seraient exclusifs à certains, en quoi cela serait-il plus efficace? Visiblement, il s’agit plutôt de mettre du cosmétique sur un projet que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier d’abomination afin d’en tirer indûment crédit.

On évoque aussi, bien évidemment, le risque sécuritaire : des attentats perpétrés antérieurement par des Palestiniens justifieraient que l’on recoure à la ségrégation. Mais la peur de l’altérité, de sa dangerosité, de sa «barbarie» : n’est-ce pas là ce qui a légitimé, par exemple, le régime sud-africain d’apartheid de triste mémoire? N’a-t-on pas invoqué le fait que les noirs, s’ils étaient libres et égaux en droits, procéderaient à l’élimination des individus de race blanche?

Les faits s’accumulent et il s’avère que le vernis de «la seule démocratie du Moyen-Orient» s’écaille de plus en plus.

On pousse l’audace jusqu’à présenter ce nouveau projet israélien comme un bienfait pour la population palestinienne, mais la nouvelle d’un transport collectif ségrégationniste n’est pas le plus récent des manquements du gouvernement israélien au droit international – et a fortiori à l’humanisme.

En effet, on a appris par l’entremise d’un rapport de l’UNICEF daté du 05 mars 2013, que les enfants Palestiniens sont victimes de «mauvais traitement systématique» de leur arrestation jusqu’à leur incarcération dans les geôles israéliennes. Jean-Nicolas Beuze, conseiller régional de l’UNICEF mentionne qu’«Israël est le seul endroit au monde où un enfant arrêté est systématiquement traduit devant un tribunal militaire. Cela n’existe dans d’autres pays qu’à titre d’exception».

La construction du mur de séparation en Cisjordanie, que d’aucuns qualifiaient de « mur de l’Apartheid», l’inexorable poursuite de la colonisation, les «frappes chirurgicales» menées en plein cœur de quartiers résidentiels,  est-ce digne d’une démocratie?

Le suffrage universel suffit-il à définir une démocratie? N’est-on pas tenu, si l’on se réclame de cet héritage, de respecter les conventions internationales qui régissent les relations avec les minorités? Albert Camus disait «La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité».

Ce qui est sidérant, ce n’est pas tant les actions que commet le gouvernement israélien, que la perception qu’en ont les gouvernements et médias occidentaux. Qu’un pays déroge aux conventions internationales, cela n’a rien de nouveau et est très répandu (Chine, Corée du Nord, Arabie Saoudite, entre autres). Pourtant aucun de ces derniers n’est considéré comme démocratique et ne jouit de l’impunité dont Israël est bénéficiaire.

Les gouvernements israéliens tendent à se radicaliser à mesure que le temps passe, mais malgré de ponctuelles velléités de remontrances de la communauté internationale, rien n’est réellement accompli afin de l’obliger à en arriver à une véritable solution de paix avec les Palestiniens.

Les forces en présence sont si disproportionnées que la solution «de l’intérieur»  préconisé par les chantres de la médiation ne se révèle qu’un prétexte afin de gagner du temps. Pendant qu’a lieu ce débat stérile et empreint de mauvaise foi, ce sont des vies, des deux côtés qui se brisent…