La guerre a cessé mais les massacres se poursuivent…
Les États-Unis sont-ils devenus au fil du temps un va-t-en guerre impénitent? Et doit-on considérer, en désespoir de cause, le système de sécurité collective mis en place au lendemain de la 2e guerre mondiale pour promouvoir et garantir la paix dans le monde comme un vœu pieux? Ne devrait-on pas ouvrir les yeux et rechercher les raisons de ces politiques guerrières d’une puissance omnipotente qui a en sa possession tous les moyens de coercition possibles pour dominer les plus faibles? S’agirait-il, non pas d’actes irrationnels, mais plutôt de politiques réfléchies qui répondent à des intérêts éminemment puissants? Nous pointons, ici, le doigt vers le tout puissant complexe militaro-industriel aux États-Unis qui, sans ces guerres, ne pourrait poursuivre sa croissance effrénée en alimentant, à travers les transactions d’armes et le transfert de technologie militaire, sa machine et stimule l’économie américaine en général.
Dans cette optique, le bilan décennal de l’intervention américaine en Irak est édifiant à plus d’un titre et Pierre Foglia, dans sa chronique du 20 mars 2013, s’y est, à juste titre, arrêté. Les deux justifications principales de ce recours aux armes auraient été l’instauration, dans ce pays du Moyen-Orient, de la démocratie et l’annihilation du danger qu’il représentait pour ses voisins. Après 10 ans, si l’on constate que nous sommes bien loin d’avoir effleuré même la démocratie, on s’est rendu compte très tôt que ce qu’on nous dépeignait comme la 4e puissance militaire dans le monde (l’Irak de Saddam) n’était en vérité qu’un ballon de baudruche.
Pour justifier l’intervention, l’administration américaine ne s’est pas gênée d’avoir recours aux montages les plus sophistiqués pour accréditer l’idée de l’existence d’A.D.M (armes de destruction massive) en Irak et le talent du Secrétaire d’État, Colin Powell, a été, pour ce faire, grandement mis à contribution. Comme un grand spectacle hollywoodien, le monde a été convié à assister à la présentation de preuves au sein des enceintes de ce que le général de Gaulle n’hésitait pas à qualifier de «machin», à savoir l’ONU.
Par ce fait, on a fait admettre aisément au monde que l’Irak représentait un danger puisqu’elle détiendrait des ADM et cette assertion avait été relayée par une presse aux ordres, mis à part quelques brebis égarées ayant émis des doutes sur l’authenticité des « preuves » dans l’indifférence la plus totale. Le recours à l’intervention militaire devenait, grâce à ce maquillage de haute voltige, rationnel et défendable. Sachant que l’Irak était dirigé, de surcroît, par un «tyran satanique», le pas à franchir pour contenir ce «danger» devenait, dès lors, «nécessaire».
Et d’une pierre, deux coups : par cet acte de guerre, on annihile la menace et on instaure la démocratie dans ce pays. Des intentions que le simple bon sens comprend, à fortiori quand elles sont justifiées par un battage médiatique généralisé à travers lequel, on agite le spectre de la volonté destructrice et démoniaque de Saddam, en ayant recours, à satiété à des contre vérités, des mensonges, des statistiques fallacieuses, des données falsifiées…
Comme Pierre Foglia, arrêtons-nous et posons-nous très honnêtement la question : après 10 ans, quid de la démocratie en Irak, l’un des prétextes justifiant l’intervention armée ?
Force est de se rendre à l’évidence que dans ce pays, berceau de la civilisation humaine et de la culture, on a plutôt introduit le chaos, l’instabilité, les conflits interethniques et la violence sans limite.
Foglia le souligne à juste raison : «Le résultat 10 ans plus tard, c’est exactement ça. Les morts. La haine. (…) Il y a 10 ans aujourd’hui quand les Américains ont envahi l’Irak, y avait pas l’ombre d’Al-Qaïda en Irak. Pas plus d’Al-Qaïda que d’armes de destruction massive».
Selon les documents secrets publiés par le réseau Wikileaks de Julien Assange , l’occupation américaine a été dévastatrice puisque 109 032 irakiens (dont 93% de civils) auraient été tués durant la période 2004-2009. L’Irak continue d’exploser (52 morts pour la seule journée du 19 mars 2013) et les attentats de chiites contre des sunnites et vice versa se multiplient comme foisonnent les attentats contre d’autres ethnies considérées minoritaires et qui ont occasionné, entre autres, la fuite massive des chrétiens irakiens. Ces derniers, dans le nouveau paysage mis en place grâce aux américains, constituent une cible privilégiée et eux qui étaient un million avant la guerre ne sont plus que 636 000 environ en 2005, soit deux années seulement après l’invasion états-unienne. Durant la gestion de Saddam, le plus important ministre du gouvernement irakien était Tarek Aziz qui détenait le portefeuille des affaires étrangères et était chrétien. Ce gouvernement était laïc et se constituait de représentants de la plupart des communautés.
Quelques données édifiantes sur les conséquences de la guerre en Irak :
– quatre personnes sur dix vivent aujourd’hui en Irak en dessous du seuil de pauvreté alors que ce pays était l’un des plus prospères du Moyen-Orient;
– le taux de chômage est de 30% alors que le pays détient 10% des réserves mondiales de pétrole et le PIB par habitant n’est que de 3891 $ soit un peu plus de 300 $ par mois.
À coté de ce constat, aggravé par le coût financier de la guerre, il faut relever la manne qu’ont retirée les sociétés américaines du conflit, la mainmise étrangère qui s’en est suivie sur les richesses du pays, l’accroissement du développement des fournisseurs d’armes et la prolifération des sociétés de sécurité.
Ce bilan serait, sous toutes réserves, digérable s’il était limité au seul Irak mais est-il nécessaire de souligner, comme le rappelle Patrick Lagacé dans sa chronique du 23 mars 2013, que pour tous les conflits majeurs qu’a connus le monde ces trente dernières années, que ceux-ci aient été conduits directement par les États Unis ou par procuration, par leurs alliés occidentaux (comme en Libye, par exemple), le constat est identique : recul, faillite, échec et désolation. Pour qualifier ces interventions, on serait presque tenté de reprendre la célèbre formule : « là où passe Attila, l’herbe ne repousse plus » et de la compléter par : « … sauf pour Attila lui-même ».
Des pays éclatés, des équilibres ethniques et communautaires rompus, des économies recolonisées, des populations poussées au déracinement, un monde qui est de plus en plus en proie à la violence, une situation qui est aux antipodes de l’idéal que promeuvent l’ONU et le chef de file mondial, les États-Unis.
N’est-il pas venu le temps de prendre un arrêt salvateur dans cette situation qui peut s’apparenter à un chaos, d’ouvrir les yeux, de repenser et de mettre en œuvre un système permettant réellement d’instaurer la paix dans le monde et de contenir l’hégémonisme et l’omnipotence de puissances qu’il ne faudrait pas hésiter à qualifier de guerrières d’autant plus que pointent à l’horizon les perspectives de potentiels conflits nucléaires ?