Laïcité pour tous, dites-vous?


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Alors que l’on commençait à peine à l’oublier, il refait surface. Toujours chargé un peu plus de cette émotivité que suscite la question identitaire. Le débat sur la laïcité qui s’est cristallisé durant la commission Bouchard-Taylor revient hanter la politique québécoise.

Le Parti Québécois, insatisfait du rapport déposé par les commissaires, a annoncé qu’il tiendrait une consultation nationale sur la laïcité. Cette dernière permettrait d’apporter de légers correctifs à la «Charte de la laïcité» que le PQ compte adopter prochainement. Visiblement, il l’aurait voulu plus intransigeant par rapport aux signes religieux ostentatoires en général et le voile en particulier

Ce genre de débat s’avère totalement exempt de véritable dialogue quant à la question du port du voile religieux dans la fonction publique que certains, à l’instar de Mathieu Bock-Côté, voudraient étendre au cadre scolaire. On se contente de dicter «notre» conception d’une société laïque, les musulmans ne faisant manifestement pas partie de ce «nous» qui se veut exclusif.

Bock-Côté va même jusqu’à affirmer que «C’est pour cela qu’il doit être interdit dans la fonction publique et à l’école. Pour indiquer clairement aux immigrants que la société d’accueil impose ses règles et qu’elles ne sont pas négociables.»

La société impose effectivement ses règles que sont la démocratie, le respect de la loi, le respect des libertés individuelles. Ces règles n’entrent aucunement en contradiction avec  le port d’un quelconque symbole religieux. Au contraire, c’est ceux-là même qui entendent bannir ces signes ostentatoires, expression de foi religieuse, qui, entrent en contradiction avec les principes fondamentaux de la liberté, en l’occurrence le droit de pratiquer son culte sans contrainte ni restriction. Quoiqu’en disent les détracteurs, la spiritualité, qu’elle soit musulmane ou autre, se conjugue parfaitement avec la démocratie et les valeurs de la société occidentale.

On argue partout que c’est une question d’égalité et de justice que d’interdire le voile dans nos institutions, et si possibilité il y a, dans l’ensemble de la société. Parce qu’une minorité d’individus en Occident- quand on est à court d’exemples, on se tourne vers l’Arabie Saoudite ou l’Iran- se livrent à une interprétation erronée des sources scripturaires, il faudrait en priver toute croyante fût-elle totalement libre et émancipée.

Du point de vue «moderne», supérieur parce qu’occidental, il est inconcevable qu’une femme puisse volontairement décider de le porter. Les citoyennes musulmanes seraient à ce point aliénées par l’Islam que même lorsqu’elles sont persuadées de le porter par conviction personnelle, ce serait, en fait, une défaillance de leur psyché qui n’a pas réussi à se départir de ce carcan religieux. Modernité et Islam seraient antagoniques.

L’argument de la protection du droit des femmes ne tient pas la route, pas plus que celui de la réciprocité. Pourtant, les démagogues n’ont de cesse de les instrumentaliser tant, a priori, ils semblent logiques.

S’il s’agit réellement d’une volonté d’intégration et de libération des femmes, quoi de plus logique que de leur permettre, sans entrer en contradiction avec leurs convictions, d’aller à l’école et de travailler. Et partant, ce qui est bon pour l’ensemble de la société ne peut pas être mauvais pour la fonction publique. Pourquoi les priver de certains postes? Il semblerait que c’est parce que l’État et ses représentants se doivent de faire preuve de neutralité religieuse. Soit, mais en quoi une femme portant un voile enfreint-elle cette neutralité que le crucifix à l’Assemblée nationale, organe détenteur du pouvoir législatif de l’État, n’enfreindrait pas?

Il s’agit d’être cohérent dans ses prises de position. On ne peut pas, d’un côté, faire du hijab le symbole d’insoumission à la «Catho-laïcité»-pour reprendre l’oxymore de Bock-Côté- et de l’autre passer sous silence les agissements du maire de la ville de Saguenay, Jean Tremblay, qui impose une prière au début de chaque assemblée à l’Hôtel de Ville. Ces indignations à géométrie variable perdent, à cause de leur partialité, toute crédibilité.

De la même façon, certains illuminés, faisant preuve de bien peu de connaissance en ce qui a trait à la politique internationale, voudraient qu’on ne soit ouverts au port du voile, et a fortiori aux musulmans, qu’au moment où les pays à majorité musulmane n’obligeront plus les femmes à se voiler et permettront la liberté de culte. Mais quelle est la réelle valeur d’un tel sophisme? D’un postulat si spécieux? Il faudrait que les musulmans vivant en occident soient imputables des décisions politiques prises dans des contrées avec lesquelles ils n’ont strictement rien à voir. Devrait-on rendre coupable un Américain pour les mensonges de Bush ou un Québécois pour le caractère belliqueux de Harper?

Il faut ajouter à cela ce que des idéologues affirment être «l’aspect politique de cette visibilité musulmane»; en refusant de délaisser ces signes distinctifs, les musulmans auraient commis l’affront de s’opposer à l’Occident en tant que «société parallèle», profitant de «l’ouverture à l’autre» pour s’imposer. Espérant un jour prendre définitivement le pouvoir afin, comme ne cesse de le répéter Djemila Benhabib, d’«islamiser l’occident».

Il devient évident que la question de la laïcité vise spécialement l’islam. Elle tire son origine du débat français, qui lui-même découle de la période post-11 septembre. Il s’avère passionnel et passionné. On se méfie de l’islam, et cette visibilité que permet le voile fait peur.

Les femmes ayant tourné le dos à l’islam dans une volonté de «libération de ce joug machiste» font souvent les manchettes et sont omniprésentes sur les plateaux de télévision, Djemila Benhabib et Ayaan Hirsi Ali, entre autres. Pourtant on fait taire de façon quasi systématique la voix de celles qui luttent pour leur droit à le porter sans être contraintes tout en agissant sur la société dans laquelle elles vivent. Si le plein accomplissement de ces femmes devait inéluctablement passer par la scission avec le religieux, grand bien leur en fasse, mais elles n’ont pas à décréter que toutes doivent,  si elles veulent être émancipées, suivre leur voie.

À défaut d’être soumises par le voile, certaines le sont par le jugement d’une société qui, parce qu’elle ne saisit pas cette relation à la Transcendance, décide de prendre la parole à leur place. «Le dogmatisme de la rationalité» pour reprendre la formule de Tariq Ramadan.

Les médias font les gros titres de cas anecdotiques afin d’irrémédiablement prouver l’existence de cette contradiction entre «Islam et modernité». En miroir, c’est de cette attitude sectaire et inquisitrice envers les musulmans que s’abreuvent les groupes extrémistes pour légitimer leur conduite vis-à-vis de l’occident et grossir leurs rangs. L’abîme appelle l’abîme.

La solution se trouve dans l’ouverture et le dialogue, et les musulmans, sans qu’ils soient dénués d’islam comme on le voudrait, se doivent d’en faire partie. Et non qu’ils soient stigmatisés comme étant partie prenante du problème. Les millions de musulmans présents partout en Occident sont en phase avec la modernité et démontrent leur volonté de s’intégrer. Mais pour certains populistes et démagogues,  cela est insuffisant. Il faudrait qu’en plus, ils se départissent de leurs convictions religieuses. À croire que tous peuvent concilier citoyenneté et spiritualité sauf les musulmans…