Cela a été dit et répété : le projet de charte des valeurs québécoises, s’il ne s’en était tenu qu’à baliser les accommodements raisonnables, aurait été fortement à propos. Ce point fait consensus parce que, finalement, c’est à cela qu’on réfère lorsque l’on parle de la «crise»; des accommodements déraisonnables que l’on accorde en raison du vide juridique qui entoure cette question. Les symboles religieux – hormis la burqa et le niqab – n’y étaient pour rien.
Pourtant, le Parti Québécois semble tenir mordicus, dans son projet, à la disposition concernant l’interdiction du port de symboles religieux dans les institutions publiques et parapubliques. Et cela en dépit du fait que cette mesure contrevienne à l’une des dispositions fortes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule expressément que chacun est libre de manifester, en public et en privé, sa conviction religieuse. Ce droit, confirmé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, n’a aucunement freiné le gouvernement Péquiste dans sa volonté de le remettre en cause. Le résultat, qui ressort du débat engagé au sein de la société québécoise autour de ce projet, débat qui s’avère aussi passionné que chaotique, est qu’un profond clivage entre les pour et les contre s’est imposé, qu’une partie de la population, notamment les femmes voilées, se sent particulièrement visée et que des questions autrement plus importantes, comme l’économie sont volontairement occultées.
S’agit-il d’un calcul politicien du pouvoir en place, duquel il escompterait grappiller des points au sein de l’opinion publique en agitant le spectre de la question identitaire, comme le suggèrent nombre d’observateurs? Tout porte, en effet, à le croire parce que lorsque la question est posée au gouvernement de savoir s’il existerait des études sérieuses, documentées et factuelles qui motiveraient cette nouvelle politique, celui-ci l’esquive sans y apporter une réponse convaincante et crédible.
Cette même question a été posée dans l’émission «Tout le monde en parle» du 22 septembre dernier par Gérard Bouchard au ministre Drainville, maître d’œuvre du projet, lequel, dans une réponse hésitante et approximative, a dit qu’il a ‘’entendu’’ les gens réclamer ces nouvelles dispositions. Peut-on en déduire, donc, que le gouvernement entend légiférer sur la base du ouï-dire? Qu’il est prêt à attiser une fracture sociale en raison de ce que certains individus perçoivent ou ressentent? Un malaise justifie-t-il qu’on recoure à des mesures aussi radicales? Quid de la réalité factuelle? Serait-il, à ce point, irresponsable?
Qu’a-t-il entendu, au fait? Peut-être son entourage immédiat, les électeurs de son comté ou encore ceux lui ayant envoyé des courriels. Mais pourquoi alors n’a-t-il pas entendu les juristes du Ministère de la Justice qui ont émis des avis négatifs notamment au regard de l’inconstitutionnalité du projet? Que n’a-t-il entendu les 60% des québécois qui, dans un récent sondage, lui disent clairement qu’ils s’opposent à ce qu’un employé soit congédié parce qu’il porterait un symbole religieux, ce qui, en d’autres termes, signifie leur rejet du point qui se réfère à cette question dans le projet. Mais cela, le Ministre Drainville ne semble pas l’avoir entendu.
Serait-il atteint de surdité sélective?
Et si le gouvernement poursuit dans la voie de légiférer sur la base du ouï-dire, il pourrait bien être inspiré d’entendre les voix de certains des partisans du projet de charte qui affirment que ‘’la religion c’est dans son salon’’? Ne serait-ce pas la suite logique? Comme le salon, ce n’est pas la rue, ne devrait-on pas craindre, dans ce cas, une mesure inconstitutionnelle et répressive qui interdirait tout symbole religieux dans l’espace public?
De la fonction publique à l’espace public? Où situe-t-on la limite? Et surtout qui la situe? Les gens que Bernard Drainville a «entendu»?
Une fois les citoyens convaincus de la nécessité de débarrasser la fonction publique et parapublique des symboles religieux, rien ne saurait empêcher le gouvernement d’aller de l’avant, et d’ainsi répondre aux préoccupations de ces citoyens qui plaident pour une interdiction totale des signes ostentatoires – particulièrement, et parfois seulement, le voile – sur la voie publique. Ce projet de loi n’est peut-être, au final, qu’un cheval de Troie; restreint dans son application, mais pavant la voie à d’autres mesures bien plus coercitives et liberticides.
Ne dit-on pas que c’est toujours le premier pas qui coûte?